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23.10 2013

Les designers sont des entrepreneurs qui s’ignorent

Les designers, ces entrepreneurs de demain

 

Une nouvelle génération d’entrepreneurs dotés d'une culture de designers commence à naître, dans des domaines extrêmement variés : thermostat intelligent (Tony Fadell chez Nest), logiciel de traitement de mail (Gentry Underwood chez Mailbox), plateforme de réservation de logements (Brian Chesky chez Airbnb) ou couches-culottes lavables (Florence Hallouin chez Génération Plume)… Cela pour une raison essentielle : la vocation, la forme de pensée et le processus de l'action des designers portent sur la résolution pragmatique des problèmes. Comme les entrepreneurs.

Néanmoins peu de designers sont réellement conscients des pépites qu’ils ont en main pour créer de la valeur économique.

Entrepreneur et designer moi-même, j’ai fréquenté les CEOs de grandes entreprises et de PME, en France et dans le monde. Cela a pour moi été l'occasion de réaliser à quel point les approches des designers et des entrepreneurs traditionnels sont proches, et de mieux comprendre où se nichent les valeurs ajoutées spécifiques de chacun.

Les entrepreneurs sont caractérisés par trois traits essentiels : ils portent une vision, ils l’exécutent et la corrigent.

  • -    Ils sont porteurs d'une VISION : ils visent un état futur aspirationnel. Ils le composent et le polissent grâce à leurs connaissances et à leur perception de leur environnement. Leur vocation est de changer le monde à l'échelle du territoire qu'ils s’octroient. Ce sont des aventuriers.
  • -    Ils incarnent et mènent à bien l'EXÉCUTION de leur projet. Ils sont parfaitement à l'aise dans les dimensions opérationnelles cruciales de leur projet. Ils recrutent et fédèrent des équipes de cultures et de métiers divers, ils convainquent des investisseurs, ils ouvrent des marchés concrets.... Ce sont des hommes d’action et des rassembleurs. C’est ce qui les distingue de théoriciens ou d'idéologues.
  • -    Ils pratiquent la CORRECTION en permanence et avec discernement. Ils savent persévérer dans leur vision tout en ajustant en permanence l’exécution de leur stratégie. Ils acceptent la remise en question et savent 'pivoter' à temps pour saisir les opportunités qui se présentent.

 

Si je considère maintenant la façon qu'a le designer d'aborder son projet design, la différence avec l’entrepreneur réside essentiellement dans un changement d’échelle. Je vais tenter d’appliquer ces trois piliers de l'entrepreneuriat aux fondements du travail des designers.

La VISION chez le designer : « design the right thing, then design the thing right »

J'ai déjà évoqué cette célèbre formule du Design Council signifiant que le designer conçoit la vision de la chose "bonne" pour son utilisateur final, puis met en œuvre une juste exécution. Le designer se donne une ambition de progrès pour l'Homme. Sa vision est nourrie de la connaissance de l’homme et de ses usages que lui apportent les spécialistes des sciences humaines. Elle peut être révolutionnaire. Car le designer est mû par un ardent désir de découvertes, de chemins inconnus, de curiosités. C’est aussi un aventurier. La tête dans les étoiles peut-être, mais les pieds bien ancrés sur terre. Un des principes les plus célèbres du design, que l’on doit à l’un de nos « grands-pères » Raymond Loewy est « MAYA (Most Advanced Yet Acceptable) » : un designer est en recherche permanente du compromis le plus juste entre sa vision aspirationnelle et la capacité d’installation naturelle de son projet dans la vie de son utilisateur final, son acceptabilité. Il ne conçoit pas pour se faire plaisir. Il a l’obsession du bien de son utilisateur.

Le designer est un activiste qui ne conçoit pas sa vision sans son EXÉCUTION

Le designer a un besoin viscéral, hypertrophié de "montrer à voir". Il itère dans sa recherche à l’aide de « prétotypes ». Ce sont des monstres de démonstration. Archétypaux de la démarche des designers, ils ont pour vertu de pouvoir être mis entre les mains des utilisateurs pour qu'ils les manipulent le plus vite possible. Ils permettent de rater vite et bien, rectifier et avancer pas à pas vers la meilleure solution sans investir argent et temps dans une première approche imparfaite. Cette habileté à "donner à voir" permet en outre de lancer des solutions en mode beta, si prisées par les startups et les grands groupes agiles.
Sans le savoir, le designer dispose là d’un formidable outil de fédération et de management ! Lorsque nous montrons une solution par l’image ou par l’objet, nous permettons à tous de la manipuler. Chacun dans l’entreprise peut se positionner par rapport à cette matière : l’adopter, la faire sienne, la critiquer, la faire évoluer, la transmettre... C’est un outil de management qui s’affranchit des cultures et des langues. La matière évite les incompréhensions, les situations trop théoriques ou dématérialisées.

En outre, le designer sait naturellement dialoguer avec les autres métiers dans et hors l’entreprise. Car il est intimement convaincu qu’il ne sait rien. Il est donc porté par un élan d’ouverture, de curiosité et de respect vers les autres. Il a cette capacité à s’ouvrir à toutes les compétences de l’entreprise, depuis les hommes de finance aux professionnels des études techniques, des hommes de marketing aux logisticiens et vendeurs. Il invite, fédère et anime par sa maîtrise du « montrer à voir », sa capacité à raconter des histoires qui font sens, à faire du storytelling. Il pratique en quelque sorte une forme "d'inculturation" en environnement complexe.

Le designer fait de la CORRECTION un acte fondateur de son processus productif

Alors que chez l’entrepreneur, l'ajustement intervient souvent pour corriger une stratégie en réaction à une évolution du contexte économique, concurrentiel, juridique ou interne, la démarche du designer met la remise en question et la correction au cœur de son processus productif. L’itération et la résilience en sont des composantes fondatrices. Les contraintes extérieures et même les imprévus sont intégrées et pris en compte dès le début.
Les start-up fourmillent d’exemples de construction de business models par ce principe de 'pivot' autour de leur vision. Twitter, originellement application de publication de podcasts au moyen d’un téléphone, a réagi à une situation concurrentielle difficile en se redéfinissant comme système de microblogging, avec le succès que l'on sait. La firme a ainsi répondu par un acte (re)créateur à la remise en question de son modèle.

Le designer est attentif aux signaux internes et externes, dans une posture d'engagement et de recul tout à la fois, confiant dans sa capacité de décision au fil du chemin de son aventure.
Le designer et l'entrepreneur ont la conscience que rien n'est acquis. A la différence de l'industriel, dont la logique repose sur l'optimisation et la pérennité d'un modèle. Dans l'industrie automobile, les industriels en sont arrivés à ne plus remettre en cause l'objet automobile. Le robot de la chaîne de fabrication est à présent plus intelligent que le véhicule : ces industriels ont perdu leur vocation d'entrepreneurs.

Je rencontre tous les jours des designers (jeunes ou moins jeunes) qui disposent en eux des ferments de l'entrepreneuriat. Je les assure qu'ils disposent des compétences requises pour se lancer dans l'aventure et découvrir de nouveaux territoires ! L'entrepreneuriat peut donner le souffle, l'enjeu qui fera décoller leurs projets. C'est aussi d'eux dont notre économie a besoin !
Je suis aussi stimulé par de jeunes entrepreneurs qui s’adressent à moi pour partager leurs visions d’avenir et pour enrichir leurs méthodes entrepreneuriales avec celles du design. Quel beau signal d’espoir pour les designers !

Les entreprises ont tout à gagner à considérer « l’intrapreneur » designer ou de culture design pour les aider à créer un nouveau modèle d’entreprise juste et performante, au plus près de ses utilisateurs citoyens !



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publié le 23/10/2013 à 03:53
#compétitivité #designer #économie #entrepreneur #entrepreneuriat #innovation #prétotype #Raymond Loewy
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